UGARIT

UGARIT
UGARIT

En 1929, une mission archéologique française conduite par C. F. A. Schaeffer et G. Chenet entreprenait des fouilles sur le tell de Ras Shamra (le «cap du fenouil»), situé sur la côte syrienne à 12 km au nord de Lattaquié et à 1 km de la mer. Depuis lors, ces fouilles ont été poursuivies et ont mis au jour la cité d’Ugarit, capitale de la principauté du même nom: une acropole, où s’élèvent les temples de Baal et de Dagon, avec ses dépendances parmi lesquelles une bibliothèque religieuse; un palais royal renfermant les archives diplomatiques et administratives; des quartiers résidentiels et artisanaux; un port de mer. Cette cité fut particulièrement florissante au IIe millénaire avant J.-C. et fut détruite brutalement aux environs de 1100. Elle constitue la source principale de nos connaissances sur la civilisation syro-palestinienne de cette époque. En raison de sa situation géographique, Ugarit était une cité commerçante et cosmopolite, un nœud de communications entre la Mésopotamie et les pays hittites à l’est et au nord, l’Égypte au sud, Chypre et les principautés grecques à l’ouest. À l’est, elle touche au désert syrien peuplé de nomades et de semi-nomades. Toutes ces civilisations y ont laissé des traces et l’ont marquée.

La langue

La langue d’Ugarit était cananéenne: langue sémitique à morphologie flexionnelle, à support sémantique trilitère, à verbe aux formes modales plutôt que temporelles, elle servait de langue religieuse. Le babylonien était la langue diplomatique et juridique. Le hourrite, langue d’origine asiatique, était couramment utilisé. On y a aussi trouvé des inscriptions hiéroglyphiques égyptiennes, des tablettes en écriture chypro-minoenne, hittite hiéroglyphique et hittite cunéiforme.

La fonction commerciale d’Ugarit et ses exigences pratiques, les difficultés dues à la pluralité linguistique, le maniement difficile du syllabaire cunéiforme ont poussé les scribes d’Ugarit à créer un alphabet cunéiforme de vingt-huit consonnes et semi-voyelles plus un signe de séparation des mots, le premier peut-être des alphabets. Son déchiffrement a été réalisé dès 1930, presque simultanément par trois philologues travaillant indépendamment les uns des autres: C. Virolleaud à Paris, H. Bauer à Halle et P. Dhorme à Jérusalem. Cet alphabet était utilisé pour l’écriture des textes cananéens et hourrites. Un abécédaire du XIVe siècle avant J.-C., suivant l’ordre de l’abécédaire hébreu, a été découvert en 1949.

La civilisation d’Ugarit est dominée par la religion. Aussi sa littérature est-elle constituée par des textes religieux: mythes et épopées.

Les mythes

Les mythes les plus importants appartiennent au cycle de Baal ; celui-ci constitue un long poème de deux mille lignes environ dont quinze cents nous sont parvenues. Il se divise en deux parties: les luttes de Baal et de Yam, le dieu de la mer, et les luttes de Baal et de Môt, le dieu de la mort.

Baal et le dieu de la mer

Au début de l’action, le monde divin est dominé par le dieu El, le père des dieux, des années et des hommes, «le bienveillant El qui est compatissant». Il est représenté comme un vieillard barbu; son animal attribut est le taureau, symbole de la force; en fait, El est lointain, inactif et faible. Il habite avec son épouse Ashérat, ses enfants Yam et Baal, et les enfants de ce dernier, à la source des fleuves à la limite des deux abîmes, celui des eaux salées et celui des eaux douces. Le fils bien-aimé de El, probablement son premier-né, celui qu’il a tenu dans ses bras à sa naissance, est le prince Yam, le dieu de la mer qui porte encore le nom de Juge-Fleuve parce que son domaine s’étend aussi sur les eaux douces. Yam n’a point d’épouse. Son adversaire est Baal, appelé aussi Aliyan Baal, prince de la Terre et chevaucheur des nuées. Son associée, la déesse Anat, est vierge, aussi est-elle appelée sœur et vraie fiancée de Baal et non pas son épouse; elle est la belle-mère des peuples et donne à Baal de nombreux enfants. La tension entre Baal et Yam naît de leur cohabitation, car Baal n’a pas de maison. Aux premières scènes du mythe, Yam, fort de la faveur de El, réclame de l’assemblée des dieux qu’on lui livre Baal et son domaine. À la formulation de cette exigence «les dieux plaquèrent leur tête à leurs genoux et à leurs sièges princiers»; seul Baal garde son sang-froid, leur reproche leur couardise et se charge de répondre. Malgré cela, El acquiesce à la requête des messagers de Yam. Baal, alors, défend par les armes ses prérogatives: armé d’une massue magique, il s’élance en combat singulier; Yam résiste; une nouvelle arme plus efficace encore en main, Baal fonce sur son adversaire, le terrasse et le tue. Les dieux entonnent alors le péan de victoire: «Yam est vraiment mort, c’est Baal qui régnera», et s’assemblent autour du vainqueur en un grand banquet. À l’issue du festin, Anat, saisie d’une frénésie meurtrière, extermine «les peuples du bord de la mer et défait les hommes du Levant [...]; elle se lave les mains dans le sang des gardes, les doigts dans les entrailles des opposants». Le monde ainsi purifié, c’est à Baal d’en assurer la fécondité. Pour consacrer cette situation, un temple d’or et d’argent lui est construit sur les hauteurs du Nord, avec une ouverture qui permet au dieu de déverser sur le monde sa pluie, son tonnerre et sa rosée.

L’évocation de ce mythe, comme la mise à mort de Léviathan, fait penser aux grandes cosmogonies babyloniennes et bibliques. Les combats d’Anat avec les peuples du bord de la mer y introduisent peut-être des allusions à des combats anciens contre des envahisseurs marins. Le récit de la construction du temple de Baal en fait le mythe d’une liturgie de dédicace.

Baal et le dieu de la mort

La seconde partie du mythe de Baal est l’expression de l’attitude des Syro-Phéniciens face au caractère inéluctable de la mort. Malgré la défaite des puissances du mal et des fauteurs de troubles, la mort est toujours toute-puissante dans le monde. Cette situation est clairement exposée: peu après l’installation de Baal dans son temple, «les ennemis de Baal occupent les forêts, les adversaires d’Adad les gouffres des montagnes». Pour mettre un terme à cette occupation malfaisante, le prince de la Terre envoie un messager à Môt, personnification de la mort et dieu du monde infernal, pour lui enjoindre de s’en tenir à son domaine et de se contenter des offrandes funéraires: «lui, Baal, doit seul régner sur les dieux afin que les dieux soient dans l’opulence et que les gens qui seront rassasiés, les multitudes de la terre soient à leur service». Mais Môt ne se le tient pas pour dit et le mal continue à sévir sur terre; le soleil dévore tout et la pluie ne parvient pas à rafraîchir le sol; aussi Baal doit-il descendre personnellement dans l’antre de Môt; il tergiverse et ne s’y décide qu’après qu’Anat a enfanté un mort. La lutte entre Baal et les «dévorants», auxiliaires de Môt, est acharnée; enfin «Baal tombe à terre, Baal est mort». Aussitôt toute activité cesse sur la terre: le roi cesse de juger, les femmes cessent de puiser l’eau à la source, les temples sont abandonnés. À cette nouvelle, El, le grand dieu, emplit le cosmos de sa lamentation et la déesse Anat lui fait écho. On enterre alors Baal dans son temple, sur les hauteurs du Nord. Mais les choses allant de mal en pis malgré les efforts d’un substitut de Baal, Anat soupire après son frère et, s’attaquant soudain à Môt: «Du glaive elle le fend, / au van elle le disperse, / au feu elle le brûle, / aux meules elle l’écrase, / au champ elle le sème.» La prospérité revient alors sur la terre et Anat se met en quête de Baal. Six ans s’écoulent et la septième année Baal et Môt s’affrontent de nouveau avec sauvagerie mais sans résultat. À la suite de ce combat sans vainqueur, la déesse solaire prédit à Môt sa déchéance certaine. Celui-ci abandonne la compétition et Baal triomphe. Il connaît de nouveau la déesse Anat, et celle-ci lui donne un enfant à force de buffle.

Ce mythe est une transposition du renouveau annuel de la nature et donne son sens à la liturgie du Nouvel An.

Les épopées

Tandis que les mythes exposent la geste divine dans un but d’efficacité liturgique, les épopées sont consacrées à la geste humaine dans un dessein d’instruction; elles enseignent aux hommes des «types» de comportements qui attirent sur eux la bénédiction des dieux et éloignent leur malédiction. Le mythe considère le monde du point de vue divin, l’épopée du point de vue humain. Elle est l’envers du mythe comme la voûte céleste est l’envers du monde divin. Le noyau de l’épopée est historique en ce sens qu’un personnage particulièrement représentatif cristallise autour de lui les traditions et les préoccupations constantes du pays. Les fouilles d’Ugarit ont révélé deux épopées, celle de Kéret et celle d’Aquehat, fils de Danel.

L’épopée de Kéret

Kéret est roi d’un Beth-Chabir, probablement d’un clan semi-nomade comparable à celui d’Abram dont la présence sur le parcours du Croissant fertile est si caractéristique de la situation du Proche-Orient au IIe millénaire. Le douar de Beth-Chabir est installé alors d’une façon stable à quelques lieues d’Ugarit; au début du poème il est complètement anéanti: Kéret n’a plus ni résidence ni famille; il est prostré dans sa chambre, pleurant, «ses larmes coulent à terre comme des sicles». El lui apparaît, lui annonce qu’il doit quitter le lieu de ses malheurs et lui expose la marche à suivre: il doit d’abord offrir un sacrifice, préparer lui-même «la nourriture pour la cité et le froment pour le Beth-Chabir, le pain de cinq mois et les provisions de six mois»; le clan tout entier doit partir, non seulement «la massive armée», mais aussi les isolés, les veuves, les malades et les aveugles; six jours de marche sont prévus pour atteindre Edom, principauté au sud de la mer Morte; il ne devra pas attaquer la capitale du pays mais attendre les propositions pacifiques de Pabil-malik, son roi; celles-ci doivent lui parvenir au matin du septième jour, après son arrivée sous les murs de la ville; en réponse, Kéret demandera à Pabil-malik sa fille en mariage; le dieu El esquisse de la jeune fille un tel portrait que le bonheur réveille Kéret et termine par là même le songe prémonitoire.

Kéret se met immédiatement à l’œuvre et suit méticuleusement le plan divin, qui se déroule exactement comme prévu. La femme de son rêve lui est accordée, leur mariage est béni et ils ont de nombreux enfants.

Survient alors à Kéret, fils de El, une maladie mortelle dont il s’étonne, El lui ayant promis la vie. Le grand dieu se décide à agir en faveur du malade, mais aucun des dieux assemblés ne semble capable de le guérir; El prend lui-même l’affaire en main et Kéret guérit, à la grande déception de son fils qui s’apprêtait à régner à sa place. L’épopée se termine par une malédiction du fils par le père.

Kéret apparaît dans tout le poème comblé par les dieux en récompense de sa docilité parfaite à leurs directives. La triste fin de l’épopée montre l’incompatibilité entre l’immortalité personnelle et les exigences d’une descendance.

L’épopée d’Aquehat, fils de Danel

La même quête de vie anime cette seconde épopée. Au début du récit, Danel n’a pas de fils comme en ont ses frères, pas de descendance comme en ont ses parents. Désespéré par la malédiction des dieux qui le rend stérile, Danel, le sage, se retire dans une caverne, symbole du tombeau, pour s’y lamenter. Après sept jours de réclusion, Baal s’approche du caveau, implore El en faveur de Danel, et l’épouse de celui-ci conçoit un fils. Sept jours de réjouissances marquent la naissance d’Aquehat. La scène centrale de la vie du héros est une proposition d’immortalité faite à Aquehat par Anat en contrepartie du don à la déesse de l’arc du jeune homme, et le refus d’Aquehat. Ce dialogue entre la déesse et le fils de Danel peut être considéré comme un sommet de la littérature du Proche-Orient au IIe millénaire: «Ne me dupe pas, ô vierge, / en vérité pour le vaillant la duperie est un crachat! / Qui, étant mortel, peut tenir l’avenir? / [...] La coupe de décrépitude est versée sur ma tête, / [...] comme tout homme je mourrai.» C’est en raison du symbolisme de cet arc que la déesse le désire avec tant d’ardeur: cet arc apparaît en Canaan comme le signe de la puissance suprême et de l’indépendance. Ce refus se révèle funeste à la famille d’Aquehat et à la nature entière: le fils de Danel est tué et Danel lui-même, malgré sa justice, ne peut empêcher la famine de s’étendre sur son pays. La mise au tombeau d’Aquehat semble devoir rétablir la situation. Aquehat s’insère ainsi dans la catégorie des héros de l’Antiquité qui se révoltèrent contre la divinité et perdirent l’immortalité. L’attitude d’Aquehat s’oppose à celle de Kéret comme la désobéissance à la docilité.

Cette brève, fragmentaire et parfois hypothétique esquisse met en valeur le caractère humain de la littérature religieuse d’Ugarit, sa parenté avec celles des pays voisins, entre lesquelles elle constitue un trait d’union, et son originalité très marquée.

Ougarit ou Ugarit
anc. cité cananéenne dont les ruines, découvertes à Ras Shamra (Syrie), furent mises au jour à partir de 1929. Elle fut détruite par les Peuples de la Mer v. 1200 av. J.-C.
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Ugarit
V. Ougarit.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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